Alizée : avis de vent frais.
Petite fiancée du pays à 15 ans avec le single à succès «Lolita», la chanteuse revient à 23 ans en mère et artiste juvénile, indépendante et déterminée.
QUOTIDIEN Libération : jeudi 15 novembre 2007
Dans ce grand bazar pop que forme notre mémoire collective, on ne savait plus trop sur quelle étagère encombrée de produits souvenirs avait été rangée l’effigie d’Alizée. Mais il suffit parfois d’un stimulus pour que tout s’éclaircisse et reprenne place. Dites : «C’est pas ma faute à moi, si j’entends tout autour de moi L-O-L-I-T-A, moi Lolita.» Sept ans déjà. C’était au cœur d’un été 00, un tube comme il n’y en avait pas eu depuis Joe le Taxi, un embrasement spontané dès l’instant de sa sortie, qui consume la France des FM comme des périphériques, des boîtes gays comme des surboums de camping, des fillettes comme de leurs parents. L’insolente et rieuse gamine a 15 ans et le profil de ces filles que le goût populaire adopte sans problème et sans même songer à leur reprocher leur chance ou leurs privilèges.
Avec Lolita, Alizée a passé quelques saisons de gloire sur le trône que le pays accorde régulièrement à la favorite parmi ses petites fiancées. A elle seule, cette chanson mériterait une anthropologie. La popularité amusée et bienveillante que la chanteuse a entretenue peut être rapprochée des lignées Bardot, France Gall, Vanessa Paradis. Sous sa mélodie typiquement Laurent Boutonnat et ses paroles parfaitement Mylène Farmer, Lolita cachait bien son jeu très français et très classique : beaucoup de Gainsbourg dans l’épellation des lettres et dans les jeux de mots, un écho de la fausse ingénuité du Banana Split de Lio dans l’ambiguïté des textes et déjà une pointe de French touch dans les sonorités de dance lente qui tapissent le morceau.
La substance et le potentiel de Lolita sont tels que le titre se propage très vite au-delà des frontières : Europe, Amérique du Sud et même Japon, empire du glamour en socquettes, où Alizée décroche la campagne pour biscuits Elysée en remplacement de Catherine Deneuve ! Le disque obtient en conséquence des ventes comme on n’en fera plus pour un single : 2,5 millions d’exemplaires écoulés, l’un des derniers records d’une industrie depuis dévastée. Preuve ultime du statut de standard atteint par Lolita : son premier revival est déjà accompli grâce à la reprise rock qu’en a faite cet été Julien Doré, dernier vainqueur de la Nouvelle Star.
Dans le tourbillon qui suivit cette entrée en scène particulièrement réussie, Alizée a eu quatre ans durant les voiles gonflées à bloc. Mais après être montée si haut, la pente ne pouvait que décliner, malgré les ventes plus qu’honorables des deux albums, les voyages, les tournées, les télés à n’en plus finir. Placée sous la houlette ultradirective du couple de producteurs- auteurs, efficace et alambiqué, formé par Mylène Farmer et Laurent Boutonnat, Alizée a fini par accomplir l’inévitable : rompre. «Le but, c’était de se produire, de récupérer les contrats, de respirer un peu, faire une pause, être libre, de travailler pour soi, de défricher des nouveaux sons…» et ainsi de suite. Dans une liste ininterrompue de bonnes explications dont une seule justifierait son besoin d’être indépendante, Alizée fait passer son message d’affranchie. Elle a vécu plusieurs saisons «dans le schwartz médiatique» et nous fait l’honneur inattendu d’être le premier journaliste qu’elle rencontre depuis trois ans et demi…
L’épineuse question Mylène Farmer et la rumeur qui veut que les choses se soient mal finies entre elles sont vite réglées : «Il n’y a aucun mystère ni dispute. Je suis très fière de ce que j’ai fait avec elle. Simplement, j’étais au charbon depuis mes 15 ans, et j’en avais 19. J’étais comme une ado face à ses parents. C’était vital : j’avais besoin de quitter le nid.» Elle n’en est pas tombée. Le sirocco de l’amour s’est engouffré à pic : Alizée, qui avait été repérée par Mylène Farmer lors de son passage en tant que candidate à l’émission Graines de star sur M6, fait la connaissance de Jérémy Chatelain, candidat de la Star Academy sur TF1. Les deux enfants de la télé-réalité tombent amoureux, s’épousent à Las Vegas et font un enfant, Annily, 2 ans et demi aujourd’hui. Lorsqu’on les voit (exceptionnellement) ensemble, difficile de ne pas établir un rapprochement évident entre leurs physiques. Leur constitution est presque jumelle : des formats légers, des cheveux encore poussin, des carrures d’allumettes. On les croirait sortis du même pays adolescent ou plutôt du même studio de mangas : sportswear et strass, baskets et coiffures structurées. Même impression à la vue de cette grosse araignée de velours noir sur l’épaule d’Alizée, le jour de Halloween.
Ensemble, surtout, Jérémy et Alizée travaillent. «A partir d’une vraie feuille blanche. J’ai mis des noms : Oxmo Puccino, Daniel Darc, Bertrand Burgalat, Jean Fauque [parolier de Bashung, ndlr]. J’ai frappé à leur porte, et tout le monde a dit oui.» L’album est enfanté de façon artisanale, et lorsqu’elle a le sentiment d’avoir obtenu un objet fini lyriquement, musicalement, psychologiquement, lorsqu’il ne manque plus que l’étape technique du «mastering», elle le soumet aux maisons de disques. «On l’a proposé à pas mal de gens. Je ne souhaitais pas la réponse emballée des grosses machineries habituelles. J’attendais un OK humain. C’est Marc Hernandez, patron de RCA, qui me l’a donné.» Le premier single extrait de Psychédélices est Mademoiselle Juliette, étrange mix de techno hippie et de minirock bjorkien. Elle en tourne le clip ces jours-ci, avec le souci de ne rien faire «qui puisse trop vite se dater». La réflexion étonne sur un visage si jeune. Mais la juvénilité d’Alizée a précisément quelque chose d’aussi beau que terrible, d’aussi radieux que sombre. Alizée a toujours au coin du sourire cette inquiétude d’une jeune femme qui a vécu le meilleur et reste néanmoins parée pour le pire. Son poids plume est trompeur : tout son être exprime un tempérament de taurillon blindé.
Elle vit dans le quartier de l’Opéra, n’aime pas les boîtes, adore Tim Burton et Prison Break, a tout suivi des aventures de Harry Potter comme des héros de Six Feet Under. Elle ne résiste pas aux derniers gadgets numériques et sait parfaitement établir le juste inventaire des qualités et défauts respectifs aux univers Mac et PC grâce à son père, informaticien qui lui a tout appris des souris. Elle se déclare très corse, vote là-bas par devoir, ne revendique ni conviction ni engagement et avoue sans fard àLibération : «J’ai appris très tard ce qu’étaient la droite et la gauche.» Elle joue au golf en vrai, mais aussi en faux sur sa console Wii. Elle voue un culte à Madonna depuis toujours, adore la mode, admire Karl Lagerfeld et Marc Jacobs, mais juge la maison Hermès «au-dessus de tout».
«Je me suis longtemps laissé porter, et j’ai bien fait. Aujourd’hui, je suis une autre, même si je n’ai sans doute pas fini de grandir : cette juvénilité ne me dérange pas.» Pensant déjà au prochain album, elle s’inquiète : «Je ne peux pas dire mieux de moi que ces onze morceaux qui composent Psychédélices. Ce sera dur, à l’avenir, de me ressembler autant.» Oui, mais pour le prochain, chère Alizée, c’est sans doute celle que vous serez qui, ayant encore grandi, mûri, vieilli, ne vous ressemblera pas.
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